L’OS est un matériau émotif et aimable .

 

 

 

Il est ce qui reste de nous, une trace, mais aussi une substance première, fondamentale .

 

 

 

Je le trouve vivant : solide et fragile, l’os est une chair, une peau, un microcosme du corps sensible .

 

 

 

Il appelle la main, le toucher, la caresse est nécessaire avec lui, il désire être emporté .

 

 

 

Je l’associe parfois à d’autres objets, trouvés eux aussi par hasard, cela fait comme des archéologies

 

 

 

Il peut être un objet précieux, une relique sacrée et profane, souvent fragment, présence magique dans le quotidien, un objet intime .

 

 

 

 

 

 

 

Je vous invite à cette rencontre qui consiste à créer des liens dans l’émotion .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Octobre 2017

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

                                                                               QUESTIONNEMENTS SUR MA PRATIQUE

 

 

 

 

 

 

 

Sculpter, habiller des « objets » : à toucher / manipuler / porter / contempler .

 

 

 

 

 

Les matériaux :

 

 

 

Choses qu'on jette, choses qu'on trouve, en tant qu'objets suggestifs .

 

 

 

L'OS comme essence, microcosme du corps .

 

L'ivoire, la corne, l'ébène ( touches de piano ), la bruyère, le buis, …, présentant des similitudes dans les colorations, les densités, les formes .

 

Des matériaux aux textures mixtes : verre, miroir, peaux de clémentines, fer rouillé, os brut, bois de cervidés, coquillage, nacre, noyaux de fruits, dent d'animal, objet cultuel, cadre, imagerie kitsch .

 

 

 

 

 

Les gestes :

 

 

 

Transformer, détourner, assembler, s 'approprier, par retraits ou par ajoûts .

 

 

 

 

 

Les axes :

 

 

 

Le corps ouvert, replié, noué, fragmenté, hybride, émotif .

 

 

 

La sacralisation de la peau comme espace recouvrant, qui se métamorphose, se réinvente par les traces et empreintes ( écorce, carapace, mue, chrysalide, masque ) .

 

 

 

La proximité avec le spectateur / regardeur, en tant qu'objet intime ( ex-voto, relique ) .

 

 

 

La collection, l'archéologie, la survivance .

 

 

 

 

 

L'évolution :

 

 

 

De la chose petite, cristallisée sur le toucher, vers des espaces d'installation, vers des sculptures de plus grandes dimensions, des dispositifs impliquant et sollicitant davantage le « visiteur » .

 

 

 

 

 

La contemporanéïté :

 

 

 

Réappropriation du sacré, hors de toute pensée religieuse, dans un rapport au corps sensible .

 

 

 

Présence et ancrage de l'oeuvre en tant qu'objet précieux, support symbolique, dans l'espace intime, singulier, individuel, du regardeur .

 

 

 

L'émotion comme porteuse de sens, créatrice de liens, faiseuse d'interactions, point de départ d'un cheminement mental .

 

 

 

 

Les références artistiques : 

 

 

 

Dans l'espace public, il y a parfois des reliefs « à portée de main » ( porte-bonheur ) qui, à force de caresses, s'usent et se transforment :

 

« La chouette » en pierre, sculptée sur un contrefort extérieur de l'église Notre-Dame, à Dijon ( Côte d'or ) .

 

« Le pied » de la statue de St Pierre, située à l'intérieur de la Basilique St Pierre de Rome ( Italie ) .

 

 

 

Figurations ritualisées des Cyclades ( Grèce )

 

 

 

Objets narratifs ou symboliques des Inuit ( Groenland )

 

 

 

Ex-votos des temples Grecs : fragments de corps en fer moulé ou en argile, objets de substitution

 

 

 

Cires anatomiques de Clemente SUSINI ( 18e ), au musée de la Specola, Florence ( Italie )

 

 

 

 

 

Annette MESSAGER Mes vœux 1989, etc ...

 

 

 

Berlinde de BRUYCKERE Infinitum 2009 , etc … Exposition « Les papesses » Avignon 2013

 

 

 

Serena CARONE Exposition à l'école des Beaux-Arts de Nîmes 2013

 

 

 

Hubert DUPRAT Larves de Trichoptères 1980

 

 

 

David ALTMEJD Exposition « Flux » Musée d'Art Moderne Paris 2014

 

 

 

Zoé LEONARD Exposition « La disparition des Lucioles » Prison Ste Anne Avignon 2014

 

 

 

Anne et Patrick POIRIER Pétales tatoués 1994-96 , moulages en papier de soie à partir de statues antiques

 

 

 

Hamid MAGHRAOUI moulages d'objets en papier aluminium, photographiés et transfigurés par l'agrandissement

 

 

 

Jana STERBAK Robe de chair pour albinos anorexique 1987

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les références théoriques :

 

 

 

Concept de survivance, « mémoire corporelle »

 

Georges DIDI-HUBERMAN Essayer voir 2014

 

Ecorces 2011

 

La ressemblance par contact : archeologie, anachronisme et

 

modernité de l’empreinte 2008

 

 

 

« ( … ) l'expérience de ma chair, comme gangue de ma perception ( … ) »

 

« ( … ) le secret du monde, contenu dans mon contact avec lui ( … ) »

 

Maurice MERLEAU-PONTY Le visible et l'invisible 1964

 

 

 

 

 Février 2017

 

 

 

 

" ( ... ) Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l'autre .C'est comme si j'avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au

 

bout de mes mots . Mon langage tremble de désir ( ... ) D'autre part, j'enroule l'autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j'entretiens ce

 

frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire auquel je soumet la relation . ( ... ) "

 

 

Roland BARTHES Fragments d'un discours amoureux 1977

 

 

 

 

 Novembre 2021

 

 

 

 

 

 

 


                                                                 

 

 

                                L'OS COMME SUPPORT : DE LA RELIQUE A L'OEUVRE


                                                La chair à la surface de l'os

 

 

 


Caroline Lucotte sculpte sur l'os solide les mouvements de corps, femmes disloquées,
couples épris. Leurs apparitions envahissent le matériau, il faut toucher, tourner la sculpture pour
suivre les reliefs des membres qui s'étalent et s’incrustent sur la surface.


Propos recueillis en juin 2015, dans l'atelier de l'artiste, à Nîmes :
-Pourquoi avoir choisi l'os comme support ?
-Pour l'émotion du matériau. Tout ce que cela m'évoque. Ces morceaux ont fait partie d'un corps.
C'est, je trouve, une matière vivante pour y inscrire des corps, au même titre que l'ivoire, l'ébène, la
bruyère... Le fragment d'os est une forme à part entière, qui a son unité, ses cassures, ses porosités,
ses couleurs. Il est rendu singulier par les accidents. On y retrouve la richesse d'un microcosme,
veiné, marbré, une cartographie fantastique. On peut y projeter la circulation de l'eau et de l'air, ou
les courants d'un corps.
-C'est comme si l'os devenait de la chair...
-Oui, c'est la chair qui sort de l'os, comme une réminiscence. Le coeur revient à la surface. L’os est
un matériau émotif. Il contient la peau, les cicatrices, les brûlures, le sang, la pâleur, la noirceur.
Mes sculptures sont à côtoyer, à toucher. L'os est rassurant, tendre, amical.
-Quel est votre cheminement créatif ?
-Il y a tout d'abord l'importance de la rencontre du matériau. L'os trouvé, ramassé en extérieur, au
détour d'une promenade, sur une plage de galet en Normandie, ou dans le dévale d'une forêt. L'os
qui a résisté au temps, propre, poli, rare. Il s'apparente à la trouvaille que l'on fait dans l'enfance, le
trésor approprié du hasard. La chose précieuse que l'on emporte avec soi.


Si l'art n'est pas forcément lié à la religion, il est de toute évidence un sacrement de la
matière. Les sculptures sur os de Caroline Lucotte ont quelque chose qui tient du spirituel. L'os est
ce qui reste, l'os est en quelque sorte la relique du corps. Il apparaît comme une matière pérenne. Il
symbolise à la fois le trépas lorsque l'étoffe de la vie le découvre, il est aussi ce qu'il y a de plus
durable, comme l'essence, le fondement.
À travers la figure de la Vanité, le crâne humain devient support à la réflexion, il est un
signe. Ceci est l'expression d'un invisible, notamment celui de notre propre mortalité, « memento
mori » (« souviens-toi que tu meurs »). En rencontrant l'os, on se regarde en face, il devient un
reflet.


En interrogeant la symbolique de l'os, on peut dire que ce support est un matériau primaire.
Dans les arts primitifs, les os étaient souvent utilisés pour le cérémonial, le décoratif, ou le
quotidien. Les chasseurs-sculpteurs inuit s'entouraient d'amulettes faites d'os, d'ivoire, de bois...
Elles étaient chargées d'un pouvoir, les accompagnant dans la chasse, la pêche, les rituels
chamaniques, et trouvaient place dans leurs poches. Une croyance inuit révèle que le siège de l'âme
se trouve dans les os. « Le geste épouse la forme initiale de la matière et cherche à révéler l'image,
le sujet caché qu'elle abrite » nous dit Giulia Bogliolo Bruna. Ainsi, l'art inuit rend visible un
invisible pressenti, sous-jacent, l'esprit de la matière, reliée à l'espace primordiale.
Les reliques sont des objets qui tiennent de cette proximité évoquée, dans le sens où ils
relèvent du sacré et accompagnent la prière. « Relique » vient du latin reliquiae , qui signifie « les
restes abandonnés ». Les ossements recueillis pour constituer les reliques étaient prélevés
directement sur le défunt. Au XIIIe siècle en Italie, on les accumule à la recherche d'une certaine
puissance. Elles sont rares, précieuses, exceptionnelles. La notion de sacrifice est à l'image des
martyres qui donnent leur vie, les objets issus de ces sacrifices étaient déposés dans les autels lors
de la messe. Ces objets portent alors en eux un certain pouvoir ; celui d'encenser la prière, d'aider à
l'apparition du miracle. Des objets sacrés. À l'inverse, le profane est ce qui concerne les affaires
proprement humaines : pro : devant, et fanum : sanctuaire ; ce qui est tenu à l'écart du sacré.
Or, par sa durabilité, en comparaison à la chair, l'os est une matière plus pérenne, donc
sacralisable. La symbolique de l'os renvoie à ce qui nous survivrait, au-delà de la mort, de par son
caractère à résister à l'usure du temps. Georges Bataille dit à propos de l'homme qui vivait en des
temps reculés : « à partir de la permanence des ossements, il imagina même « la résurrection de la
chair ». Les ossements devaient « au jugement dernier » se rassembler, les corps ressuscités ramener
les âmes à leur vérité première. » Os et chair semblaient trouver une correspondance. L'un appelant
l'autre.


Dans la mythologie, cette question du sacrifice et du sacré est mise en évidence à travers le
récit de Prométhée. En un temps très ancien, dans la plaine de fertilité de Mékoné, terre d'âge d'or,
les dieux et les hommes vivent ensemble, mangent ensemble. Les hommes ne connaissent ni la
fatigue, ni les maladies, ni la mort. Zeus veut marquer une différence entre ces hommes presque
aussi puissants que lui, et les dieux. Il charge Prométhée de faire cette séparation. Ce dernier
apporte un taureau qui est sacrifié. Prométhée fait deux parts, qui sont en réalité des pièges. L'une
est constituée des os blancs dénudés, immangeables, mais sont recouverts d'une couche de graisse
appétissante. L'autre regroupe les bonnes chairs dans la peau retournée de la bête et l'estomac,
d'aspect repoussant. L'honneur de choisir revient à Zeus, qui laisse la seconde part et emporte celle
qui est alléchante, pleine de graisses. Il découvre les ossements et la ruse, et jure de compromettre
l'évidence avec laquelle les hommes accèdent aux biens. Ils leur retire le feu divin. Prométhée, qui
veut soutenir les hommes, cache le germe du feu dans un fenouil, et leur rapporte. Ils devront à
présent attiser la braise du feu pour cuire les aliments. Ils devront enfouir la semence du blé dans la
terre pour récolter, alors qu'ils pouvaient jusqu'à présent simplement cueillir la plante sans la
cultiver. ; ils devront besogner la femme pour avoir une descendance. Ils n'aurons plus accès
directement aux biens, il faudra toujours travailler pour l'obtenir. Après tout ces événements,
Prométhée est condamné à rester enchaîné à un rocher dans les montagnes du Caucase, où un aigle
vient lui dévorer le foie chaque jour. Chaque matin, son organe repousse, et le phénomène se
reproduit chaque jour de l'éternité.
De ce fait, lors des sacrifices, les os sont brûlés sur l'autel avec un peu de graisse et des
aromates, car les dieux sont éternels et se nourrissent de fumé, d'odeur, et d'ossements, la nourriture
de l'éternité. Les hommes sont condamnés, pour parer à leur mortalité, à se rassasier de viande
putrescible.


La démarche artistique de Caroline Lucotte évoque ces phénomènes. Se produit une
incrustation de l'impermanent. L'os en tant qu'objet renvoie à ce qui fut, mais le choix délibéré de
cet ossement par l'artiste ouvre une nouvelle dimension à son devenir, il est, en quelque sorte,
sacralisé. Il devient support et résonne en nous-mêmes.
L'érotisme nous permettrait, en abandonnant un temps notre condition d'être discontinu,
d'accéder à une certaine continuité divine. « Tout érotisme est sacré » disait Georges Bataille. En se
plaçant à travers le point de vue des diverses cultures confondues, l'érotisme est ce qui permet
l'élévation, comme dans le Tantrisme hindou. « Les temples de l'Inde abondent encore en
figurations érotiques taillées dans la pierre, où l'érotisme se donne pour ce qu'il est d'une manière
fondamentale, pour divin. »
« De l'érotisme, il est possible de dire qu'il est l'approbation de la vie jusque dans la mort. »

D'une certaine manière, les sculptures de Caroline Lucotte sont une célébration de la vie, qui est pur
Éros, sur un os qui à la fois signifie le trépas, et l'éternité. Elles inscrivent l'érotisme de ces corps en
chair sur ce qui, d'un point de vue de la dimension physiologique, est le plus profond d'un être
vivant, dans son ossature. C'est comme si nous portions en notre fort-intérieur l'empreinte même de
ce mouvement érotique. Cela constitue le propre de l'existence. Il n'est de pulsion de vie sans que la
mort l'accompagne, dans un juste équilibre des choses. « La sexualité et la mort ne sont que les
moments aigus d'une fête que la nature célèbre avec la multitude inépuisable des êtres. » Ce que
Georges Bataille souligne est la pulsion impérieuse de l'accomplissement. Ces sculptures illustrent
l'avènement de la chair, à la surface de l'os. Elles tiennent du sacré à travers l'incrustation de
l'impermanent. La chair fragile est gravée dans l'os dur et durable. Le corps se grave dans la matière
de l'os, il s'enroule tout autour, et la manipulation de l'objet permet d'en saisir la totalité. La
technique de sculpture fait apparaître les plis du corps et laisse par endroit la rugosité/porosité
première. L'os devient chair.


Lorsque la chair s'abîme en l'os, c'est la vie qui s'incruste dans le précieux, le secret, dans la
structure la plus intime de l'être. Créer sur un fragment de squelette, pour qu'y renaisse la peau, c'est
appeler Éros à ressusciter.

 

 

 


Les citations sont extraites du livre de Georges Bataille, L’Érotisme, et de Giulia Bogliolo Bruna,
La sculpture inuit.

 

 

 

 

 

 

 

 


Extraits de la conférence donnée par Lucille Bréard, Docteur en Esthètique, au CRIC de Nîmes, 3 rue Balore, le 23.03.2016.

l'os est un matériau émotif

Je suis née le 20 juin 1956 à Dijon ( Côte d'or ), je suis professeur d'arts plastiques et vis à Nîmes ( Gard )

 

 

 

 

                       Je sculpte dans l'os, l'ébène, la corne, le bois de cervidé, le coquillage, le noyau de pêche, le buis, la bruyère, le cerisier,

                                                                           l'ivoire de phacochère, l'ivoire végétal ( tagua )

 

 

 

 

Parfois je mêle à mes sculptures, par assemblage, des figurines en porcelaine, en plastique ou en bois,

des matériaux comme le verre, la nacre, le fer rouillé, le bois de cervidé, le miroir, la dent d'animal, l'os brut,

                         l'objet cultuel, l'imagerie kitsch ou désuète, le cadre, la peau d'orange et de clémentine, les galets